(D'abord, je tiens à
m'excuser. Ce billet est long. Je ne l'ai pas voulu. Rome. Trop belle. Je n'ai pas pu me limiter. Je ferai mieux la prochaine fois!)
Dans le langage agent de
bord, on appelle "pairing" tout voyage qui nous amène à dormir au
moins une nuit à destination. Quand j'ai reçu le coup de téléphone du service
d'affectation pour me dire que je partais pour Rome pour deux jours, j'ai crié.
Premièrement, c'était mon premier pairing (il y a presque un an de ça). Deuxièmement,
j'allais visiter une des villes les plus majestueuses et mythiques au monde. My
- God. J'étais loin de me douter qu'à la fin de l'été, je compterais cinq
pairings dans cette ville plus grande que nature.
Par bonheur, j'avais pour
collègue une fille amoureuse du voyage, aventurière, aux idées folles. Je ne la
connaissais pas, mais ça a cliqué tout de suite. Dans la navette qui nous a menés
à l'hôtel, Adèle (c'est son nom) a sorti son IPod et m'a tendu une oreillette.
Au fond du camion, sur la banquette, on a écouté à tue-tête des crooners
italiens sous les coups d’œils amusés de nos autres collègues. Il fallait bien
se mettre dans le mood: " 'O sole, 'o sole mio / Sta 'nfronte a te!"
Il faisait beau. Il faisait chaud. Un gros vingt-cinq degrés Celsius sans humidité.
Un soleil éclatant. Un ciel bleu. Et un conducteur italien. Ça signifie conduite (trop) rapide dans petites rues.
À l'hôtel, je reçois une carte magnétique comme clé. Je monte à
ma chambre, j'ouvre la porte. C'est noir. La lumière ne s'allume pas. Je
m'acharne sur l'interrupteur. Voyons, c'est quoi le truc? Je suis fatiguée, ça fait
environ vingt-cinq heures que je n'ai pas dormi et je veux pouvoir prendre ma douche et
me mettre au lit le plus rapidement possible pour visiter! Juste quand je
commence à désespérer, le téléphone sonne. Je tâtonne dans le noir (pourquoi
les rideaux sont-ils fermés...?), je m'empêtre dans ma valise, mais je finis
par attraper le combiné.
- Andrée, c'est Adèle.
Juste pour te dire que pour allumer la lumière, il faut que tu insères ta carte
magnétique dans la fente à côté de l'interrupteur.
Ahhhhhh. Merci Adèle!
En début d'après-midi, on
se retrouve dans le lobby, Adèle, le commandant, le premier officier et moi. Direction Dal Bolognese, un restaurant bordé par la
Piazza del Popolo. Je suis (sur)excitée, je n'ai pas envie de manger. Je veux
juste me sauver et marcher toute la journée/toute la soirée pour VOIR. Je trépigne.
Mes compagnons ont souvent vu Rome, eux. Ils ne pensent qu'au Prosecco, à la
birra, au prosciutto di parma, au tagliolini al ragù di culatello et au gelato
di crema al balsamico. C'est un peu cher, mais délicieux et l'emplacement est idéal. J'ai des yeux tout le tour de la tête et peine à me
concentrer sur le menu que je devine plus que je ne le comprends. Je mémorise
l'essentiel: "Voglio una birra per favore. Grazie!". Je me délecte
des mots que je prononce et que je perçois, c'est si beau! J'entends
"Prego" par ci, "Prego" par là. Coudonc, c'est quoi ça,
"Prego"? On dirait un mot-clé utilisé à toutes les sauces. On m'explique que ça peut dire "merci", "de
rien", "je vous en prie", "avec plaisir", autant en
introduction de conversation qu'à la fin. On peut donc commencer une
conversation par "Prego?". Je tombe en amour avec la langue, j'ai envie de l'apprendre, mais je
veux d'abord commencer par l'espagnol. Une chose à la fois.
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Monumento a Vittorio Emanuele II
Comment ne pas tomber en extase devant pareille beauté? |
Je m’emplie les yeux et les
oreilles du spectacle trépidant qu'offre Rome. Les gens parlent fort, la
langue se chante. C'est incroyable à quel point les Italiens gesticulent. Et la
circulation! Mon dieu. Un défilé rapide de voitures, mais surtout de motos qui
roulent rapidement - trop rapidement - dans les plus grandes rues. Je comprends
qu'il faut forcer son chemin en tant que piéton et j'ai peur de me faire
frapper. C'est qu'ils n'arrêtent pas, ces véhicules! Adèle me prend le bras et
traverse d'un pas décidé. Aïe aïe aïe... Un gémissement s'échappe de mes lèvres.
Un rush d'adrénaline m'assaille. Je vois des dizaines de motos et voitures foncer
sur nous sans ralentir. Au dernier moment, ils s'arrêtent. Mon coeur cesse de battre. On est à
peine hors de leur chemin qu'ils redémarrent en trombe. Woah. "On va
essayer de traverser aux feux, ok?" Mes collègues rigolent.
En chemin vers la Fontaine
de Trévi, on fait une halte pour prendre un gelato dans un kiosque. Ça goûte le ciel.
Mais ça fond trop rapidement. Mon dieu qu'il fait chaud! Je ne m'en plains pas,
je suis ravie. En plein mois d'avril, ça fait du bien.
On est attiré dans un
attroupement monstre d'une ville déjà envahie de touristes. Une parade. Une
fanfare. On suit la masse quelque temps puis on bifurque à la vue d'un panneau
indiquant la fontaine. On débouche sur la Piazza di Trevi et j'ai le souffle coupé. Mon
dieu. C'est grandiose, immense. Des sculptures géantes, magnifiques. Le dieu
Océan porté par un char tiré par deux chevaux marins. De l'eau surgit en
cascades sous le char et se répand dans un énorme bassin d'eau rectangulaire.
Derrière, le Palazzo Poli. Je me pince. Suis-je vraiment ici, à Rome? Il y a tellement de monde! C'est presque impossible
d'avancer, la foule est si dense, c'est étourdissant. Le bruit des chûtes est étouffé
par des centaines de voix qui s'interpellent, le crépitement des flashs et le
cri des marchants ambulants qui vendent toutes sortes de babioles. Adèle n'hésite
pas, elle fend la foule et m'amène avec elle. Elle se faufile jusqu'à ce qu'on
se trouve en avant de la fontaine, en plein centre. "Et maintenant, une
photo!" On jette ensuite un sou dans l'eau en faisant un vœu. Lequel? Bah,
je ne vous le dis pas!
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Fontana di Trevi |
Le commandant nous quitte
pour aller se reposer. Il nous laisse entre "jeunes", Adèle, David le premier
officier et moi. Après avoir acheté mon aimant (bon, je sais, c'est un peu quétaine,
mais j'achète un aimant dans chaque ville que je visite. Sur mon frigo, ça
commence à faire une belle mosaïque. Je collectionne les villes et plus j'en
ai, plus je veux en visiter!), on se dirige vers le Colisée. Pour y aller, on
se promène dans le centre historique de Rome. La ville antique. Des ruines, des
ruines, des ruines partout. Des ruines qui parlent. Des bâtiments qui ont changé
de vocation, mais qui vivent encore. Dans un champ de fouilles archéologiques
poussent des roses sauvages à travers les colonnes déterrées et les anciens égouts.
On s'y arrête. Je les yeux plein d'eau. Au loin, j'aperçois l'Arco di
Costantino, inauguré en 315 après Jésus-Christ pour commémorer la victoire de
l'empereur Constantin sur l'empereur Maxence en 312, dans la Bataille du pont
Milvius. Le soleil décline. L'arc est baigné d'une lumière dorée qui le
glorifie, mais en même temps, le berce d'un charme mélancolique. Des amoureux
s'embrassent. Oh! je regrette de ne pas avoir un amoureux à embrasser, moi
aussi. Rome est LA ville romantique par excellence.
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Arco di Costantino |
Une conversation en français
me tire de ma rêverie:
- On n'a rien vu, rien! Que
des ruines! Ce n'est rien! Rien! Une journée perdue!
Un groupe de Français se
tient contre le garde-fou qui protège le site archéologique. Un homme d'une
cinquantaine d'années s'insurge et semonce ses camarades. Selon lui, tous ces
monuments ne valent pas la peine d'être vus. Que des ruines... Rien du tout. Eh bien, mon ami,
fallait aller à New York!
J'ai été émue par la Fontaine de Trévi, mais le Colisée, watch out. Est-ce possible d'avoir
construit quelque chose d'aussi gigantesque? Il est trop tard pour y entrer. Ma
plus grande déception. Je m'approche et je colle mon oeil à travers le grillage.
Imaginez... Des centaines d'années en arrière. Des milliers de personnes crient, huent. Des milliers de voix en écho. Je sens leur présence.
C'est troublant de se tenir dans un lieu qui a tant de vécu. Comme si l'existence de
tous ces milliers d'humains, tous ces événements passés (jeux de gladiateurs,
reconstitutions historiques, chasses d'animaux sauvages, exécutions publiques)
avaient laissé une empreinte dans la pierre. On s'assoit dans l'herbe, muets,
et on l'observe. Une partie du Colisée est démolie. Un grand tremblement de
terre en 1349 a provoqué l'effondrement d'un mur. Également, dès le Moyen-Âge, manquant de
pierres pour la construction d'autres monuments, on y a pris celles du Colisée. Elles ont servi, entre autres, à bâtir une partie de la Basilique Saint Pierre.
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Colosseo |
La dolce far niente? C'est
fou, autant Rome bat rapidement (il n'y a qu'a penser à la circulation
automobile, à la quantité de personnes qui y vit ou la visite ou au caractère
bouillant et impulsif des Italiens), autant on peut sentir son côté chaleureux,
relaxe. On prend le temps de manger, de bavarder, de s'arrêter, de goûter aux plaisirs de la vie. Ses ponts qui traversent la
rivière Tevere (Tibre) et ses rambardes emplies de dizaines de petits cadenas
entrelacés, avec les noms d'amoureux inscrits dessus. Les rayons chauds du soleil. Les vignes de roses qui
poussent sur les maisons. Les rues étroites, emplies de petits restaurants de
quartier, de terrasses et de cafés. La langue. Quelqu'un peut-il m'expliquer
comment se fait-il que les Italiens en général soient si beaux? Les hommes, bronzés, sveltes, à
la barbe naissante et aux cheveux fournis, portent le costume avec classe sans
avoir l'air coincé. Ils ont du style, c'est incroyable. Les femmes! Simples,
naturelles. Le teint doré, les sourcils définis, des vêtements et des
accessoires de qualité, les cheveux bien placés. Elles marchent avec assurance.
L'élégance et la sensualité en un. Bon, les femmes plus âgées sont dans une
classe à part. Le stéréotype est réel. Beaucoup de maquillage, beaucoup de
bijoux, des chapeaux à larges bords, de grandes lunettes fumées, les cheveux courts, teints, en mise en plis
parfaite. Ce n'est pas naturel, mais ça en jette. Même
pour faire l'épicerie, elles se préparent comme si elles se rendaient dans un
restaurant chic.
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Vue d'un pont passant sur la rivière Tevere |
Au retour, David est
convaincu qu'il se rappelle du chemin qui nous conduira à l'hôtel. On lui fait
confiance, c'est un pilote d'avion commercial, il devrait avoir le sens de
l'orientation. Après une heure de dédale, on décide de prendre les choses en
mains Adèle et moi. On se moque de lui. Hum hum, monsieur le pilote. Ce n'est
pas sérieux. Remarquez, on ne peut pas se plaindre. Il est minuit, il fait
encore chaud. Les gens s'attardent sur les terrasses. On s'extasie de
ces petites rues loin du centre où l'on marche. On croise des fontaines, on
traverse un parc. Les arbres me fascinent, je n'en ai jamais vu de tels: de longs troncs tordus avec, tout en haut, une boule de feuillage. On dirait qu'ils ont été taillés, mais ils sont si grands que c'est impossible. Finalement, on hèle un taxi. Adèle n'en peut plus, ses pieds
la font souffrir. Les dix euros les mieux investis de la journée.
Le lendemain, je pars
seule. Je me dirige vers le Vatican, qui est situé à quinze minutes de marche
de notre hôtel. Je me pince encore pour être certaine que je suis vraiment à
Rome. Avant d'entrer dans l'enceinte, je croise toutes sortes de kiosques
emplis de sacoches "fabriquées en Italie, en vrai cuir", de médailles
du pape Jean-Paul II, de cartes postales et de calendriers et statuettes religieuses.
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Place Saint Pierre et Basilique Saint Pierre |
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Basilique Saint Pierre |
Le soleil plombe sur
l'immense place Saint Pierre, encerclée par deux promenades de pierre couvertes
et bordées de quatre rangs de 284 colonnes et d'innombrables statues. Je suis
encore émue. Je touche les colonnes, froides dans la chaleur ambiante. Puis, je
visite l'exposition destinée au pape Jean-Paul II, vraiment très intéressante.
Pour entrer dans la Basilique Saint-Pierre, il faut se soumettre au
contrôle de sécurité exécuté par de nombreux gardiens. Des centaines et des
centaines de personnes font la file pour entrer. Certains sont refoulés parce
qu'ils portent une camisole ou des shorts trop courts. Bizarrement, la Basilique ne me fait ni chaud ni froid. C'est trop grand (vingt mille personnes peuvent s'y asseoir). Des
planchers de marbre. Cependant, la lumière passant en rayons à travers le dôme
(le plus haut au monde) donne un effet saisissant. Pour finir, je m'engage
dans l'allée menant à la chapelle Sixtine, précédée d'un homme anglais. Le
Garde Suisse, aimable (et vraiment cute), l'arrête et lui parle en anglais.
J'attends en arrière, je n'écoute pas trop. L'homme repart. Je poursuis mon chemin
et c'est à mon tour de me faire interpeller, en italien cette fois.
- I'm
sorry, I don't speak italian.
Il sourit: "English?" Je fais
signe que oui. Il m'explique que la chapelle est fermée pour la journée. Je
suis déçue.
- When will it be open
again?
- Vous êtes Canadienne? Du
Québec?
Je tombe sur le cul. Il a décelé
mon accent francophone en une phrase, mais en plus, il sait que je viens du Québec? De
nouveau, je fais signe que oui, abasourdie.
- Demain, ce sera ouvert dès
neuf heures.
- Merci. Vous parlez
italien, français et anglais. En plus, vous avez détecté mon accent du Québec.
Je suis impressionnée!
Il sourit de nouveau, me dit qu'il parle aussi allemand et que le français, l'italien et l'allemand sont les langues officielles de son pays, la Suisse. Il m'explique qu'il rencontre
beaucoup de gens de toutes nationalités, dont des Canadiens du Québec, et que
c'est pour cette raison qu'il a reconnu mon accent. J'apprendrai plus tard que
les Gardes Suisses doivent être âgés entre dix-neuf et trente ans lors de leur
recrutement et qu'ils doivent être célibataires. Eh bien. Alors que
je reviens sur mes pas, il lance: "À demain, alors?" Demain, je repartirai vers
le Canada. Ce sera pour une autre fois! C'est à mon tour de lui sourire: "Bonne journée!"
Sur le chemin du retour, je
m'arrête à l'excellente épicerie fine Castroni sur Via Cola di Rienzo. J'achète
du vinaigre balsamique, une pizza aux tomates, du fromage et des olives pour
souper. Pour la route, je demande un espresso, divin.
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Caffe Castroni |
Épuisée par ces deux journées
de marche, mais heureuse et consciente de ma chance, je passe la dernière soirée
dans ma chambre à écouter la télé italienne. Demain, je me lève tôt.
Oh oh.
J'ai oublié d'apporter un réveil matin. Re-oh oh. Mon téléphone cellulaire ne
fonctionne pas ici, l'heure ne change pas selon le fuseau horaire de son
emplacement. On m'a dit qu'il ne fallait pas se fier au "wake-up
call" de l'hôtel. Parfois, ils oublient. Je stresse de manquer le
transport pour l’avion. J'appelle Adèle dans sa chambre. Elle promet qu'elle
me téléphonera à quatre heures du matin. Ok. Vers quatre heures et demi, toujours rien.
Heureusement, j'ai reçu l'appel du préposé à l'accueil. Je téléphone à Adèle:
"Je voulais juste te dire que je suis réveillée. M'as-tu appelé quand j'étais
dans la douche?" Elle est confuse: "Mais je t'ai appelée, tu as répondu".
"Non..." On s'esclaffe. "Qui tu as appelé, quelle chambre?"
"Tu n'es pas dans la 408?" "Non...!" "La personne
a dit "ok", et elle a raccroché." Hihihi! Oups…
Dans la navette qui nous
conduit à l'aéroport, je suis déjà impatiente de connaître ma prochaine
destination!