«Je suis agent de bord.» Sourcils relevés: «De bar?». «Non, de bord.»
Sourire incertain. Je lâche enfin le morceau: «Hôtesse de l'air». Ah!

5.4.12

La peur de l'avion

Je vais vous raconter une histoire vraie qui finit bien: jamais je n'aurais cru devenir agent de bord un jour. J'étais à des années-lumières de là. Je rêvais de voyager, mais je ne pouvais pas. Être prise dans un cigare volant sans possibilité de s'échapper si quelque chose arrivait, non merci. Claustrophobie, bonjour. Je m'imaginais non seulement un accident, mais aussi les longues heures, pénibles, à lutter contre la crise d'angoisse, assise entre deux autres passagers, le petit sac de vomi entre les mains au cas. Y penser seulement me donnait des sueurs froides et un début de rush au cœur. Déprimant.

La peur ne se raisonne pas. Il faut l'apprivoiser. Un jour, il a fallu que je prenne le taureau par les cornes. Les parents de mon amoureux de l'époque habitent en Belgique. Un été, ils nous ont offert deux billets d'avion et un séjour toutes dépenses payées en Belgique et en France pour deux semaines. Impossible de refuser. Au début, j'ai paniqué. J'ai boudé. J'ai piaffé: « Non, je n'irai pas! Je ne peux pas, c'est tout! » Puis, je me suis parlée. « Là, Andrée Gibeau, veux-tu vraiment passer ta vie à t'empêcher de voir le monde parce que tu as peur de quelque chose que tu ne connais même pas? » Non. Ok, go! Cette peur, je l'imaginais et elle n'en était que plus monstrueuse. Parce que je n'avais jamais pris l'avion de ma vie.

Je ne sais pas comment je suis tombée là-dessus, mais il faut croire que j'étais au bon endroit au bon moment. J'ai découvert un centre de recherche, DePlour, qui offre un séminaire de deux jours pour vaincre la peur de l'avion. Un vol aller-retour Montréal/Toronto (optionnel, mais recommandé) conclut le séminaire la semaine suivante. Le président est un commandant de bord, Marc-Antoine Plourde.

C'est Marc-Antoine lui-même qui a répondu au téléphone quand j'ai appelé pour obtenir des informations. J'étais sur mes gardes. Il a été gentil comme tout, a répondu à toutes mes questions et la tension s'est relâchée un peu. Je ne voulais pas faire le vol de confirmation, j'étais morte de peur. Il m'a conseillé de ne pas me mettre de barrières pour l'instant. Je pouvais toujours changer d'avis après le séminaire. Bref, je me suis rendue là-bas. Je ne m'attendais à rien. Il y avait peu de participants, pas plus d'une dizaine, ce qui contribue au succès de l'affaire je crois bien. Deux psychologues et Marc-Antoine lui-même donnent le séminaire sur deux jours complets. On a démystifié un vol: les composantes d'un avion, comment un avion peut voler, la turbulence, les bruits qui accompagnent une envolée, etc. On a aussi beaucoup parlé avec les psychologues pour voir d'où la peur pouvait venir. Ça a l'air bizarre comme ça, mais c'est vraiment intéressant. On a visité un avion dans un hangar près de l'aéroport. Un Airbus, si je me souviens bien. Puis est venu l'étape du simulateur. Oh oh... Juste avant de mettre le pied dans ce « faux » avion, je me suis mise à transpirer. Je savais que ça n'allait pas être un vrai vol, bien sûr, mais rien à faire. Le simulateur avait l'air tellement réel que j'avais l'impression qu'on allait décoller pour Paris. On s'est assis, on s'est attaché. Marc-Antoine se tenait debout à l'avant de la cabine et nous a parlé tout le long. Le but de l'exercice? Expérimenter les différents niveaux de turbulence: léger, moyen, sévère. Je ne sais pas comment il a fait pour rester debout pendant la période de turbulence sévère. Je me sentais comme dans un manège de la Ronde. Une poupée de chiffon. Je vous jure: on s'est fait secouer comme dans une machine à laver pour géants. J'étais incrédule: un avion pouvait vraiment se prendre ça et c'était normal? Ok. Impressionnant. Marc-André a souri en expliquant comment l'avion ne faisait que flotter sur les poches d'air.

Finalement, j'ai décidé de faire le vol de confirmation. Montréal/Toronto, quarante-cinq minutes dans les airs, un peu plus d'une heure de porte à porte. J'allais bien être capable de survivre à ça, non? Une chance, il faisait beau. Un ciel tout bleu et un soleil éclatant juste pour moi. Mon copain est venu me reconduire à l'aéroport. J'avais l'estomac à l'envers. Les deux psychologues et Marc-Antoine nous ont accompagnés. J'étais assise côté hublot. J'avais amené mon appareil photo pour me distraire et je n'arrêtais pas d'actionner le déclencheur pour rien. Il n'y avait pas grand chose à voir à part les vitres de l'aéroport de loin. La porte s'est fermée. Plus possible de sortir. J'ai commencé à me sentir mal. Je m'en voulais de m'infliger ce stress qui sortait de nulle part! Et c'était donc bien long avant de décoller! L'avion s'est engagé sur la piste. Les moteurs se sont allumés. L'avion s'est mis en marche. Vite. De plus en plus vite. Wow, vite en maudit! Mes épaules se sont collées au siège. Je me suis mise à sourire comme une enfant. Quel beau feeling! On a quitté le sol. La terre s'est éloignée. J'ai regardé par le hublot et j'ai vu la terre comme je ne l'avais jamais vu. Et je me suis mise à pleurer. Marc-Antoine s'est inquiété: « Comment ça va, Andrée? » J'ai articulé à travers mes larmes et mon nez coulant: « Mon dieu, c'est tellement beau...! » Il a éclaté d'un rire triomphant en claquant des mains: « Oh yeah!!! » Je suis restée scotchée au hublot toute l'envolée, en extase. Au vol de retour, le groupe a dû se séparer en deux-trois sous-groupes parce que les sièges avaient déjà été réservés. Il y avait un siège tout seul, dans le fond de l'avion. Marc-Antoine est venu me voir pour me demander si ça me dérangeait de l'occuper, vu que j'avais l'air de prendre ça pas trop mal. Ok. Après le décollage, à quelques rangées en avant de moi, il  a levé le pouce pour savoir comment ça allait. J'ai répondu en ouvrant la main: top là! Quelques minutes plus tard, je dormais.

J'ai fait quelques vols au cours des années suivantes. Je me rappelle d'un en particulier, un baptême de feu. C'était en 2008. En plein milieu de la nuit, une femme s'est mise à hurler. Un cri de mort. Jamais entendu un cri comme ça. Deux longs cris déchirants qui ont réveillé - et angoissé - tout le monde. Ça fouette, ça, mes amis! On s'est levé pour voir ce qui se passait. Tout ce que j'ai entendu c'est un agent de bord qui essayait de calmer la dame: « Il n'y a pas de danger, madame, il n'y a pas de danger. » My - God. Je ne sais pas s'il y avait un médecin dans l'avion, mais elle a poussé quelques gémissements puis on ne l'a plus entendue. Une ambulance et des pompiers nous attendaient à l'aéroport pour l'évacuer. Finalement, à Charles-de-Gaules, une alerte à la bombe avait été lancée. Il n'y avait plus personne dans le terminal, sauf l'armée et nous. On a pu récupérer nos valises en vitesse puis on est sorti. Heureusement, ce n'était pas prémonitoire. Notre voyage s'est très bien passé. Je me suis dis que si j'avais vécu ça, c'était pour me tester! Une autre fois, j'ai vécu un épisode de turbulence assez intense. J'ai adoré ça! Je regardais par le hublot l'avion pencher d'un bord et de l'autre. Mon copain de l'époque, habitué de prendre l'avion, était vert. C'est là que j'ai su que j'étais guérie.

Aujourd'hui, prendre l'avion c'est comme prendre l'autobus. De la turbulence? De la petite bière. Bien sûr, ça fait partie de mon métier: je prends l'avion entre deux et trois fois par semaine. Et quand je ne travaille pas et que je prends l'avion comme passagère, je l'apprécie. C'est un moment de relaxation. À tous ceux qui ont peur de l'avion, je vous le dis, il y a de l'espoir. Si vous avez une petite peur, prenez l'avion et posez des questions aux agents de bord. Démystifier un vol, comprendre les bruits (train d’atterrissage, cloches dans l'avion, moteurs, etc), demander des trucs, ça aide. Se familiariser enlève la peur. Plus vous prendrez l'avion et plus vous serez à l'aise. Si vous pensez que vous êtes irrécupérable, je vous recommande vivement le séminaire. Ça coûte pas mal de sous, mais ça délivre du mal! ;-)

D'ailleurs, une pensée pour ma mère qui a pris l'avion la semaine passée et qui a surmonté sa grande peur! Bravo, maman chérie!

11 commentaires:

  1. Un autre belle article!!!

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  2. Encore une fois, ton article est plus que pertinent... Comme quoi nos hantises ne doivent jamais nous empêcher de rêver et d'aller de l'avant.

    Ce n'est que depuis trois ou quatre ans que la peur de me retrouver cloîtré pour six ou sept heures de vol m'est apparue. Auparavant, rien, nada. Léger et fébrile j'étais. Mais l'âge, un peu de claustrophobie et de vielles peurs sont revenues en surface sans que je ne sache d'où cela pouvait bien parvenir. J'ai même demandé à mon médecin de me prescrire des clonazepan pour être capable de monter à bord sans me payer une crise d'angoisse. Ce que j'ai fait lors d'un vol Montréal-Nice. J'en ai eu pour deux à trois heures après atterrissage afin de revenir tout à fait à la normale. Pour le retour Paris-Montréal, idem. Vint ensuite un court séjour en Italie où j'eus l'idée de couper la dose afin de me sentir moins « frosté » à la descente et ce ne fut pas plus mal. Le tout jusqu'en 2010 ou je pris la décision de faire le vol Montréal-Puerto Vallarta sans l'aide de clonazepan. Appréhensions. Souffle court. Envie soudaine d'être à des kilomètres de la salle d'attente de mon vol. J'avais quand même traîné mon pot de pilules, juste en cas. Mais j'avais vraiment le goût d'expérimenter un vol sans artifice, ni subterfuge. Ce que je fis. À mon grand étonnement, une fois le décollage réussi, mes appréhensions avaient presque disparu, pffff, en nuage. Étais-je guéri? Je tentai la même médecine pour le retour, trois semaines plus tard. Légère fébrilité et peur, mais sans plus. Ça y est me suis-je dit. Non. Pas vraiment. J'ai décidé que j'allais prendre cela vol par vol. Situation par situation. Tout ça en me disant que cette foutue peur n'allait jamais prendre le dessus sur ma passion de découvrir, de voyager et de connaître autre chose que mon quotidien. Voilà. L'avion est un mal nécessaire pour se déplacer et avoir le grand bonheur de se retrouver « ailleurs ».

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    1. Chaque personne affronte ses peurs d'une façon différente qui peut être tout aussi bien l'une comme l'autre. Et cette peur ne vous paralyse pas de rester ici, de ne pas partir. Vous la combattez malgré tout et vous ne la laissez pas prendre le dessus et faite tous les efforts pour ne pas que ça arrive. Certes, il y a des moments de faiblesse (je parle en général), mais il ne faut pas que ces moments nous enterrent au point de nous empêcher de faire ce que l'on rêve. Je suis comme ça aussi, les 3 premières fois que j'ai pris l'avion j'était seule, j'étais stressée avant d'embarquer, surtout la première fois, mais rendue dans l'avion, la peur et le stress s'en allaient, car de toute façon je n'avais plus le choix...et hop,qlq années plus tard je recommence avec cette peur avant d'embarquer, mais pire qu'auparavant alors que je suis habituée avec l'avion..pourquoi? aucune idée! mais au moins rendue à l'intérieur, ça va mieux car je suis devant le fait accomplie..mais s'il y a des turbulences...croyez-moi je prie!

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    2. Merci Louis-Philippe pour ton témoignage. J'ai lu un jour, et je ne sais pas de qui provient cette citation: "No amount of worry will change tomorrow." Ça m'a marquée. Notre inquiétude ne peut rien changer à ce qui s'en vient, sauf nous pourrir le présent. Bravo de combattre ta peur, une situation à la fois. La plus belle réussite est de surmonter une peur paralysante, qui nous empêche de réaliser nos rêves, nos passions, nos désirs. Au plaisir, cher Louis-Philippe!

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    3. Je ne sais pas pourquoi, mais cette citation s'applique très très fortement à moi...!:)

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  3. j'en ai eu les larmes aux yeux!!:-)
    ça me rappelle lorsque l'on est allées à Chicago ensemble. Moi qui avant, n'avait pas peur de l'avion, j'ai recommencé à en avoir peur quelques années après, mais une fois rendu à l'intérieur c'est correct...sauf s'il y a des turbulences...ça me fait peur. Et donc notre vol il y avait des turbulences et toi tu dormais puis moi j'étais inquiète à côté. Et tu te réveillais ben tranquille me disant qu'il n'y avait pas de problème, que ce n'était rien...moi je priais à côté. :-) Alors qu'avant les rôles auraient été inversés pcq l'avion ne me faisait pas peur...je ne sais pas pourquoi cette peur a recommencée, mais au moins je ne me prive pas de voyager. Je capote, mais je combats. lol!
    Et félicitation maman!!!! je suis super contente que tu sois partie en avion!!! et demain le grand retour aussi!!!:)

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    1. Oui bien sûr, je me souviens de ce fameux vol Chicago-Montréal. D'autant plus qu'il y avait une énorme tempête de neige qui venait sur Chicago. Quelques heures plus tard et on n'aurait pas pu décoller. Je me rappelle qu'on était assises à l'arrière, à côté des deux moteurs qui étaient tellement bruyants! Un petit jet à hélices! Ça avait été un très beau voyage éclair. D'ailleurs, il faudrait remettre ça. Mais je te dis, la prochaine fois, je vais superviser la grandeur de ta valise et ce que tu mets dedans, hihi! On va y aller façon "agent de bord approuvé"!

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    2. hahahahaha!!!! oui faudrait tu m'enseignes comment faire mes valises, surtout quand je vais en Algérie!! c'est fou le nombre de chose que je peux amener...quand je suis allée en Espagne cet été pour 1 sem, ma belle-soeur en Algérie a refait ma valise avec moi pcq c'était ben trop! lol!

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  4. eh oui les filles je suis de retour,d`un beau voyage inoubliable gràce à toi dd la douce. J`étais un peu nerveuse à mon arrivée, mais je pensais que je n`étais pas seule, je me suis dit ben voyons donc dd est dans l`avion avec moi, quand je suis entrée dans l`avion l`agent de bord m`a dit `bonjour Madame ca va bien `qui j`ai vue toi dd. Alors je me suis assise et je me suis fait un film. Je me disais que c`était toi qui travaillait dans l`avion. J`étais tellement occupée à te regardé travaillé que je n`es pas vue le voyage passé.Mangé, boire, le film, encore boire, un petit bonbon , wouf... un petit sourire de ta part et ``Attention Mesdames et Monsieur veuillez attachez votre ceinture nous entreprenons la descente bientôt`` quoi déjà. 3h15 le vol de la république à Montréal. Quelques petits étourdissements à la descente mais ...dd étais assise derrière , alors pour moi je n`étais pas seule, allons y pour la descente. Merci Air Transat pour cet belle envolée et quel service A la prochaine.

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    1. Wow... Quel beau message, maman. Ça m'a beaucoup émue. Merci merci merci pour le beau témoignage. Moi aussi j'ai beaucoup pensé à toi. J'avais travaillé la nuit d'avant et je m'étais couchée à 4h du matin, mais je me suis réveillé plusieurs fois dans la matinée et à chaque fois je pensais: "Bon, maintenant, ils reçoivent le vin mousseux. Là, ils sont rendus au déjeuner. J'espère que ça va bien. Ok, il reste une heure. Bientôt la descente." Alors, oui, j'étais là avec vous. Je te souhaite tout plein d'autres merveilleux voyages, ça ne fait que commencer! Je t'aime. xxx

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  5. Ohhhhhh!! c'est donc ben beau mom!!!:) xxxxx

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