«Je suis agent de bord.» Sourcils relevés: «De bar?». «Non, de bord.»
Sourire incertain. Je lâche enfin le morceau: «Hôtesse de l'air». Ah!

28.3.12

Le déclic

J'aimerais vous parler de Lucy Maud Montgomery (1874-1942), romancière de l'Île du Prince Édouard. "Anne, la maison aux pignons verts", c'est elle. Ses mots ont bercé mon adolescence. J'ai lu "Anne" a l'âge adulte. Ce qui m'a conquise, c'est "Émilie de la Nouvelle-Lune", lu à l'âge de dix ans. Fort probablement des romans pour filles et femmes davantage que pour la gent masculine. Romantiques. Imagés. Drôles. Vrais. Touchants. Poétiques. J'ai rarement lu une auteure qui savait si bien manier les mots. Un délice. Un charme. Des personnages tellement vivants que j'ai le sentiment de les avoir côtoyés. Émilie, l'héroïne de cette trilogie, a l'écriture dans le sang. C'est un don. Elle ne peut s'en passer. Avez-vous déjà fait l'expérience du "déclic"? Oui. Tout le monde l'a vécu. La plus grande joie d'Émilie, c'est de voir surgir le déclic. Quand cette impression survient, le bonheur de l'instant présent vibre. Un état de grâce. La sensation que tout est . Une compréhension. La magie. Cette amoureuse de la vie, ravie, court mettre en mots ce qu'elle vient de ressentir à travers le déclic, le plus souvent à la vue de jonquilles naissantes, lors d'une promenade dans la forêt du Grand Fendant ou d'un coucher de soleil sur la Maison Déçue. Quelle surprise et quel plaisir j'ai éprouvés à la lecture de ces passages dans "Émilie"! Ça existait! Je n'inventais pas cette expérience difficile à décrire.  

Mon déclic se produit quand le soleil tombe. Une fraîcheur dans l'air. Des traînées de lumière rose et jaune s'effilochent parmi les nuages en contre-jour. Ça remonte à l'enfance. Il y avait un grand champ derrière la maison. Du balcon, en pyjama, on regardait le soleil se coucher en parlant au walkie-talkie avec nos voisines d'à côté. Trois petits bouts de choux heureux. Une lueur dorée dans les yeux. Seul le moment présent compte. Demain n'existe pas. Ça remue à l'intérieur. Un sourire d'enfant de cinq ans aux lèvres. Je suis complètement heureuse le temps que ça dure. D'habitude (malheureusement, c'est assez éphémère), le déclic apparaît au contact de la nature. Sur le bord de la mer. En forêt. Dans les montagnes. C'est beau. Je me rends compte que je fais partie d'un tout. Et que finalement, on n'est pas grand chose sans être lié au reste.

Quand je voyage, ce moment de grâce jaillit souvent. C'est le jackpot. La nouveauté d'un lieu inconnu m'amène au déclic. Il faut comprendre ceux qui sont accros au voyage, il n'y a pas de secret. 

Je me rappelle, il y a peut-être deux ans, j'ai découvert un bout de ruelle cachée proche du Métro Mont-Royal. Elle mène dans la cours du monastère. J'étais en vélo. Je me sentais comme une enfant fébrile qui pense avoir trouvé un trésor. On ne peut qu'être concentré sur les sensations nouvelles. Un petit rien du tout que la rencontre de cette ruelle encore inconnue pour moi. Mais ça a fait naître des images neuves. Éclairé ma journée un instant. On est là, maintenant, et c'est tout. Vibrant à la seconde près, sans les pensées tourbillonnantes qui stressent nos corps, nos vies. 

C'est pourquoi le voyage m'attire autant. Il me fait vivre le déclic comme jamais. C'est un baume. Un antidote. À la puissance dix, on n'a de choix que de vivre le moment présent. 

4 commentaires:

  1. Maudit que tu écris bien sœurette, tu m'as fait revenir en enfance ( encore une fois) et m'as fais réalisé que le plus gros "déclic" pour moi à été quand j'ai rencontrer nos grandes montagnes et vallées de l'ouest canadien.C'est le fun de voir que après toute ces années,la famille et amis qui m'ont si souvent demander de revenir au Québec et de comprendre pourquoi j'y suis si accrocher,alors maintenant j'ai une raison!!!C'est à cause du DÉCLIC!!!

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    1. =))
      Te rappelles-tu quand on a fait le Peak2Peak? Je te comprends maintenant, après avoir vécu les grandes émotions d'être entourée de cette nature si majestueuse, si forte!
      xxxx

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  2. Ton texte me fait remonter à l'enfance, non seulement à cause de Lucy Maud Montgomery (dont j'ai dévoré tous les livres à 13-14 ans) mais aussi et surtout à cause... des ruelles.
    Je me rappelle, toute jeune, au primaire même, il n'y a rien que j'aimais tant que faire des détours par les ruelles au retour de l'école. En fait, dès que je voyais une ruelle, c'était plus fort que moi: je ne pouvais m'empêcher d'aller m'y promener! Elles m'apparaissaient comme des lieux enchantés et secrets, à l'écart du monde et du temps.
    En pénétrant dans une ruelle, on ne perçoit plus que les bruits étouffés du monde qui bourdonne. Tout se passe à un autre rythme, le rythme langoureux du soleil, du linge qui se berce dans la brise, des clochettes qui tintent au-dessus des balcons, des arbres à fleurs qui libèrent leur lourd et sublime parfum. Et quand le soir tombe, la magie éclot encore davantage: la ruelle se transforme en un monde mystérieux, tout en ombres et en silences.
    Ce sont les ruelles, je crois, qui m'ont fait vivre les plus grands "déclics", qui m'ont fait voyager pour la première fois, et qui m'ont permis d'écrire mes premiers poèmes.
    Merci d'avoir su ramener, par ton billet, toute cette poésie presque oubliée!

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    1. Wow, merci Catherine de ce commentaire sur le monde merveilleux des ruelles! Oui, elles sont enchantées! J'ai découvert les ruelles à l'âge adulte parce que j'ai grandi en banlieue. Mon lieu magique était le grand terrain vacant à côté de notre maison, mais aussi le champ derrière la maison dans lequel passait des trains voyageurs ou de marchandise. J'espérais y trouver des fées ou des gnomes. C'est qu'elles savent se cacher, ces créatures!

      Montréal est bénie pour ses ruelles. C'est le terrain vacant des enfants citadins. Tiens, tu me donnes le goût d'explorer les ruelles à la prochaine journée ensoleillée...

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