«Je suis agent de bord.» Sourcils relevés: «De bar?». «Non, de bord.»
Sourire incertain. Je lâche enfin le morceau: «Hôtesse de l'air». Ah!

30.4.12

Bise ou accolade?

J'ai toujours un petit stress quand je rencontre un étranger pour la première fois et que le contexte n'est pas établi. Quel devrait être la façon de se saluer et de se dire au revoir? La coutume "latine" veut qu'on se donne la bise entre amis ou dans un contexte amical. C'est avec cette façon de faire, naturelle pour moi, que j'ai rencontré mes premières fréquentations à Vancouver. 

Adam et moi avions correspondu plusieurs semaines avant mon arrivée à VanCity. C'est un ami d'une amie d'un ami. Quand on déménage dans une ville où on ne connaît personne, on cherche les contacts, aussi éloignés soient-ils! Quand on s'est vu pour la première fois, il m'a été spontané de m'approcher de lui et de lui faire la bise. Il a perdu ses moyens, a littéralement reculé comme un aimant en repousse un autre et a balbutié je ne sais quoi. J'ai rougi, embarrassée. Qu'avais-je donc fait? À mes côtés, mon amie québécoise résidente de Vancouver a éclaté de rire. Ça a détendu l'atmosphère d'un poil. Elle a solidement empoigné la main d'Adam pour la serrer dans la sienne. Il a souri gauchement, lui aussi mal à l'aise de sa réaction, mais content de retrouver ses repères, avant de laisser tomber dans ma direction: "Oh yeah... French Canadians..." Ah? Mélia m'a expliqué ensuite que chez les Canadiens anglais, soit on se serre la main soit on se donne une brève accolade si le contexte est moins formel. "Ah ouin?" ai-je répliqué, désarçonnée. Pour moi, une accolade évoque plus d'intimité qu'une bise. Avec une telle réponse, je ne m'y suis plus risquée! À chaque nouvelle rencontre, je me suis sentie empotée un moment. Lorsqu'une personne s'approchait de moi, j'avais le réflexe de déposer un baiser sur une joue avant de réaliser qu'un bras m'entourait et qu'un de mes bras devait en faire autant. 

C'est avec mon expérience durement acquise que j'ai attendu Jason à l'arrêt d'autobus l'hiver dernier, au centre-ville de Montréal. Jason est le couchsurfer d'Edmonton que nous avons hébergé quatre-cinq jours. Il a descendu du bus chargé comme une mule. Tout de suite, on s'est salué d'une accolade accompagnée d'une petite tape dans le dos. "Hey!" "Hey! How are you?" Je ne voulais pas le dépayser tout de suite... Le lendemain, on est allé rejoindre ma mère dans le Vieux-Port pour voir les feux d'artifice. "Maman, je te présente Jason. Jason, my mom Lucie." Elle l'a empoigné et l'a gratifié de deux becs solides sur les joues. Smack! Smack! "Bienvenue, Jason!" Hihi! Sa tête! À mon tour de lui expliquer que cette façon de se saluer est courante chez nous. Il a souri, gêné: "Ah...!" La fin de semaine suivante, on a célébré l'anniversaire de mon colocataire. Je l'ai prévenu: "Jason, you know that everyone will kiss you, right?" "Even boys?" J'ai fait durer le suspense. "...no. Not boys. But sometimes, some really close friends are doing it. But more in France." Il a de nouveau laissé tomber doucement: "Ah!"

Accolade, bise sur deux joues, bise deux fois chaque joue, poignées de mains. Je n'ai pas fini d'être étonnée par tous ces codes qui diffèrent d'une culture à l'autre. Il y en a un que j'aimerais voir ici, très courant à Vancouver et que j'ai aussi remarqué spécialement en Allemagne: la grande courtoisie des automobilistes et même des cyclistes envers les piétons. On ne pourrait pas intégrer ça à notre culture, s'il vous plaît? 

Bon, allez, je vous fais la bise!

Illustration tirée de SXC

16.4.12

Bruxelles

Une longue histoire d'amour me lie à la Belgique. Elle a commencé il y a presque dix ans, quand j'ai rencontré un garçon "demi-Belge", comme on se plaisait à le surnommer. J'ai connu l'humour belge, pince-sans-rire. J'en ai fait les frais avant de comprendre que c'était un mode d'expression courant. Comme on dit, qui aime bien châtie bien. Ou comme un ami Belge aime dire: "Qui aime bien charrie bien!" Ensuite, j'ai découvert les inimitables bières qu'elle produit. Quand j'y suis allée l'an dernier, j'ai tellement empli ma valise de bières que j'ai eu toutes les misères du monde à la soulever pour la déplacer. Finalement, il y a eu Brel. Brel! J'ai aimé la Belgique avant même de l'avoir vue (le pays j'entends, parce que Brel est mort en 1978 à l'âge de 49 ans), entre autres parce que je suis tombée amoureuse de Brel. Je ne le connaissais que de nom et comme plusieurs non Belges, je pensais qu'il était Français. L’incrédulité dans les yeux de mon amoureux à l'époque! Un sacrilège. Le lendemain, il y avait un coffret de Jacques Brel sur mon bureau. Je l'ai écouté en entier, sans passer une seule chanson. Subjuguée par son intensité. Un auteur compositeur interprète d'un incommensurable talent. Une interprétation incandescente (vous le verrez par vous-mêmes plus loin).

Et puis, on le dit: les Belges sont plus proches de nous, Québécois, que les Français. Les Français sont nos cousins, d'accord, mais les Belges sont nos frères et sœurs. Une même chaleur à l'accueil, des grands rires solides, un sens de l'auto-dérision... et un amour pour la bière! On y retrouve aussi une situation linguistique semblable: les communautés francophone et flamande se côtoient et parfois, malheureusement, ça frictionne.

L'été dernier, je m'y suis arrêtée pour le travail. Quand je passe deux jours dans une ville, je dédie toujours la première journée à la marche. J'aime découvrir une ville en la parcourant à pied d'abord. C'est lors de la deuxième journée que je me mets à visiter des monuments, des bâtisses, des musées ou des expositions. Cette fois-ci pourtant, je fais exception, parce que j'ai déjà visité la ville quelques années plus tôt.

Donc, après ma sieste d'après-nuit de travail, je marche illico presto vers la magnifique Grand Place, en m'arrêtant d'abord dans une "pannenkoekenhuis" (crêperie, en flamand: "maison qui cuit des crêpes"). La Grand Place est répertoriée dans la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. On dit qu'elle est l'une des plus belles places au monde. N'hésitez pas à cliquer sur ce lien pour la voir en version panoramique. Construite vers la fin du XVIIème siècle, elle est entourée d'une trentaine de maisons particulières, mais aussi de maisons de corporations de l'époque: Maison de la Corporation des Brasseurs (aujourd'hui le Musée des Brasseurs), Maison de la Corporation des Ébénistes (maintenant Maison des Maîtres Chocolatiers Belges), Maison de la Corporation des Tailleurs (on y trouve une taverne à l'heure actuelle), etc. S'y situent aussi l'Hôtel de Ville et la Maison du Roi (à présent le musée de la ville de Bruxelles). Au milieu, un marchand vend des fleurs et des plantes et parfois, on peut aussi y croiser un portraitiste. Il est possible d'admirer la Grand Place en s'assoyant à l'une des multiples terrasses de restaurants et tavernes qui l'entourent. À tous les deux ans, en août, aux années paires, elle est recouverte d'un tapis de milliers de fleurs formant un tableau kaléidoscopique saisissant.

La Grand Place. 2ème bâtisse: l'ancienne Maison des Brasseurs

Puis, je me dirige vers une exposition que je veux absolument voir: celle des Éditions Jacques Brel qui porte le titre "J'aime les Belges" et qui tourne autour de la vie du grand Jacques. J'y passe deux longues heures, éblouie, surprise, mais surtout émue. Il n'y a pas de bonnes raisons de ne pas aller voir et entendre cette exposition si on visite Bruxelles: c'est seulement cinq Euros et même si on ne connaît pas ou n'aime pas Brel (Peut-on vraiment ne pas aimer Brel? Je sais, je sais, j'ai un gros préjugé favorable.), on y parle beaucoup de la Belgique avec Brel pour prétexte. Tout au long de l'exposition, un audio-guide nous accompagne. Si ce n'est pas Brel qui chante ou nous parle, c'est sa fille France, sa femme Miche ou les amis qui ont fait partie de sa vie. On chemine dans plusieurs petites salles qui mettent en scène des moments de la vie de Brel ou ses chansons. En plus d'être chanteur, Brel était aussi réalisateur de films et comédien. On a le plaisir d'entendre un monologue qu'il a écrit et où il interprète un vieux Bruxellois qui regarde par sa fenêtre, accent belge en prime. Les expressions! Probablement comme un Français qui vient au Québec pour la première fois et qui n'y comprend rien. Surprenant et rigolo. J'apprends aussi que Brel était incapable d'écrire assis. Il  raconte que le processus d'écriture lui était douloureux, que son corps, dans l'espoir de trouver le mot juste, se convulsait ou était envahi de tics nerveux. Il parle abondamment de ce qu'il pense de la Belgique, de sa relation avec elle. Le cœur gonflé, je sors lentement. Julie, la personne à l'accueil, me regarde: "Je sais, c'est ça qu'il nous fait, Brel". Je pars avec une affiche d'un brouillon raturé écrit de la main de Brel de sa chanson "Bruxelles". Très intéressant de voir quels mots il a repris, remisés, modifiés.

Jacques Brel - Exposition "J'aime les Belges"

Comme je suis tout près, je passe ensuite devant le Manneken-Pis pour la forme, parce qu'aller à Bruxelles sans voir le Manneken-Pis, c'est comme aller à Paris sans passer devant la Tour Eiffel. Derrière une grille, une toute petite statue d'un garçonnet fait pipi, photographiée par des dizaines de touristes. Écouteurs aux oreilles, je me balade jusqu'à la Place de l'Albertine où je m'arrête en m'assoyant à côté de la fontaine. Bien sûr, c'est exprès: je fais défiler quelques chansons de Brel, sourire aux lèvres, en regardant les gens passer. Tiens, "La Chanson des Vieux Amants". Quelle maîtrise dans les mots, dans le rythme: "Et plus le temps nous fait cortège / Et plus le temps nous fait tourment / Mais n'est-ce pas le pire piège / De vivre en paix pour des amants". Je me demande à qui elle était destinée cette chanson. Miche, sa femme? Mon dieu, ça a dû être terrible pour elle si la chanson ne lui était pas destinée, quand on sait qu'il était volage... Pas facile, la vie publique. Passons.

Je poursuis jusqu'au Mont des Arts en faisant attention de ne pas marcher sous les arbres du jardin aménagé. Quelques années plus tôt, un oiseau m'a gratifié d'un cadeau liquide dans les cheveux et sur ma veste. C'est peut-être moins beau, mais je vais marcher dans l'allée cette fois. Après une volée d'escaliers, on a une vue superbe sur la ville et sur le jardin lui-même. Le Mont des Arts porte bien son nom: tout autour, on y trouve le Musée Magritte, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, la Cinémathèque, le Musée des Instruments de Musique et la Bibliothèque Royale de Belgique. Je continue mon chemin jusqu'au Palais Royal avant de bifurquer dans le très beau Parc de Bruxelles. Ce que j'aime de cette ville, c'est qu'on y trouve de grands monuments et bâtiments, magnifiques, des gens plus que sympathiques, une créativité sans bornes dans le domaine des arts, mais surtout, pas de stress ni de folie dus à une surpopulation. La ville n'est pas très étendue. Les distances se font facilement à pied et les transports en commun sont grandement utilisés.

Vue du Mont des Arts

Bon, et maintenant, à la bouffe! Je veux essayer un restaurant que m'a recommandé mon amie belge Anahita: le 9 et Voisins. On m'a prévenue: le nom de la place n'est pas indiqué en devanture. Je cherche quand même quelques minutes jusqu'à ce que je me décide à demander à un jeune homme qui fume nonchalamment, adossé sur la pierre blanche d'une bâtisse étroite. Il me sourit et m'ouvre la porte en me faisant signe d'entrer: "C'est ici!" L'intérieur est tout en brique rouge et de grandes ardoises détaillent le menu. De hauts plafonds, des vieilles tables de bois épais et des chaises dépareillées complètent le décor. On sert une cuisine Belge ici: stoemps, chicons, jambonneau à la moutarde et autres plats consistants. L'ambiance est relaxe. Je choisis de m'asseoir au bar, comme toujours quand je suis seule dans une ville que je ne connais pas. Le jeune homme qui m'a ouvert la porte s'installe derrière le bar. C'est le barman. Il s'appelle Jean et il est Français. On sympathise et il me présente aux deux autres serveuses, une Belge et une Française. Ils s'asticoteront tout le long de la soirée, pour rire. Dès que je leur pose une question, ils débattent, se tiraillent, argumentent. Les deux Français m'expliquent qu'il y a beaucoup (trop) de Français en Belgique, une invasion. Parce que la France est trop chiante. Impersonnelle. Attention, ce sont leurs mots, pas les miens! Eh bien, il y a beaucoup de Français au Québec aussi, que je leur dis. Je me décide pour des chicons qui s'avèrent excellents. De la viande hachée délicieuse avec du bacon enveloppés d'une feuille d'endive, recouvertes d'une sauce brune salée et accompagnés de pommes de terre en purée. Puisque je leur partage ma passion pour la bière, les trois rigolos s'empressent de me servir un verre de bière dès que le mien est vide, tout ça sur le bras de la maison. Ciney blonde, Ciney blanche, Gueuze, Kriek, Faro, Kwak, en veux-tu, en voilà! Je suis ravie, mais rapidement pompette. Jean m'offre aussi un verre de la bière Mort Subite que je pourrai ramener avec moi. Ils se mettent en tête de me faire venir au bar Lord Byron le soir même (Ce n'est qu'aujourd'hui, en faisant ma recherche sur internet, que j'apprends le vrai nom de l'endroit. J'avais compris, sans être trop sûre, qu'il s'agissait du "Lord by Room"...? Bien quoi, ce n'est pas un secret que l'accent anglais des francophones européens n'est pas toujours évident, hihi!). Le hic, c'est que leur "shift" ne se termine qu'à une heure du matin. Ouf... Mon lit m'appelle déjà et il n'est pas vingt et une heures. Je vais passer mon tour pour cette fois. Je les quitte à regret en me disant que j'aurai goûté encore une fois à une autre belle rencontre imprévue due au voyage.

Des chicons au 9 et Voisins

Le lendemain, je me rends dans le quartier des Marolles à la place du Jeu de Balle, où se tient un marché aux puces en plein air tous les jours entre sept et quatorze heures. Ce sont mes amis du 9 et Voisins qui m'en ont parlé et qui ont entouré son emplacement sur ma carte. Ça fait du bien de sortir du quartier historique. Ici, on sent le côté local de la place. Il y a du monde! Des dizaines et des dizaines de brocanteurs installent leurs lots de tapis, de meubles, de bibelots, de livres, de sacoches, de vêtements, de tableaux et de sculptures sur des tables ou encore à même le sol. J'ai les yeux grands. Ça, c'est mon genre de lieu. Je pourrais y flâner des heures. Je me promets de partir avec un objet qui devra entrer dans ma valise. Je me lie d'amitié avec un petit cadre qui met en valeur un dessin à l'encre noire d'un vieux bateau à voiles. Après avoir passé devant tous les étals, je décide d'aller manger sur la terrasse du Café le Chineur qui donne une belle vue sur le marché. Cette fois-ci, je goûte le stoemp, une purée de pomme de terre mélangée avec des légumes et des herbes, à côté de deux morceaux de saucisse de campagne. Malheureusement, ce n'est pas concluant côté saveurs. La purée est sèche et la saucisse, quelconque. Oui, vous l'avez deviné, j'ai aussi bu de la bière, une Gueuze rafraîchissante!


Le quartier des Marolles est reconnu pour ses antiquaires de la rue Blaes, que je monte jusqu'à voir le magistral Palais de Justice, une des plus grandes constructions du XIXème siècle. Il est possible de prendre l'ascenseur dans la rue du bas pour monter jusqu'au Palais dans la rue du haut. De là, il y a aussi un très beau point de vue sur la ville. Tranquillement, je retourne vers le centre. Parce qu'il commence à pleuvoir et parce qu'ils sont couverts d'une immense verrière, je me réfugie dans les magnifiques Passage du Nord et Galeries Saint-Hubert. Je flâne en regardant les vitrines des commerces de luxe: la célèbre maroquinerie Delvaux, la coutellerie Tulquin, le chocolatier Neuhaus ouvert depuis plus de cent cinquante ans, la Manufacture Belge de Dentelles et beaucoup d'autres. Après les avoir parcourus en long et en large, je me risque sur la rue du Marché aux Herbes pour courir jusqu'à la Mort Subite. C'est un arrêt primordial. Ce café brasserie sert à boire son excellente Mort Subite, directement du fut. Depuis peut-être deux ans, on peut trouver leur Kriek à notre SAQ, pour 5,90$ la bouteille de 375 ml. Ouch. Les serveurs portent un habit à l'ancienne: petite veste rouge sur chemise blanche et pantalon noir. On dit qu'on peut parfois les entendre parler Bruxellois, un patois qui se perd et qui est davantage connu des vieilles gens. C'est de famille, cette brasserie: elle est transmise de père en fils depuis le début du XXème siècle! Je tente le coup pour une tartine au fromage blanc accompagnée d'une Faro, puis d'une Framboise. Bon dans le bedon!




La pluie se calme. Je marche tranquillement sur le boulevard Adolphe Max pour me rendre à l'hôtel. Je croise une boutique Leonidas, impossible de résister. Des centaines de chocolats belges me regardent et m'appellent. Je me laisse finalement tenter par la pâte de fruit et un pot de tartinade au chocolat que je ramènerai avec moi. Oh! ce que je suis chanceuse de pouvoir rapporter, une fois par semaine, ces petites gâteries que je trouve dans différentes villes européennes: confiture, vin, bière, vinaigre, huile d'olive, amen. Et alleluia!

De la Belgique, je n'ai visité que Bruxelles, et, il y a quelques années, la charmante Namur ainsi qu'une petite ville de campagne nommée Soye (prononcer "soie"). Qu'à cela ne tienne, le plat pays a marqué mon cœur et j'espère bien pouvoir y retourner cette année.

Je vous laisse sur deux vidéos de Brel, l'un comique, l'autre grave, mais toujours un Brel passionné et intense. Bonne écoute!


5.4.12

La peur de l'avion

Je vais vous raconter une histoire vraie qui finit bien: jamais je n'aurais cru devenir agent de bord un jour. J'étais à des années-lumières de là. Je rêvais de voyager, mais je ne pouvais pas. Être prise dans un cigare volant sans possibilité de s'échapper si quelque chose arrivait, non merci. Claustrophobie, bonjour. Je m'imaginais non seulement un accident, mais aussi les longues heures, pénibles, à lutter contre la crise d'angoisse, assise entre deux autres passagers, le petit sac de vomi entre les mains au cas. Y penser seulement me donnait des sueurs froides et un début de rush au cœur. Déprimant.

La peur ne se raisonne pas. Il faut l'apprivoiser. Un jour, il a fallu que je prenne le taureau par les cornes. Les parents de mon amoureux de l'époque habitent en Belgique. Un été, ils nous ont offert deux billets d'avion et un séjour toutes dépenses payées en Belgique et en France pour deux semaines. Impossible de refuser. Au début, j'ai paniqué. J'ai boudé. J'ai piaffé: « Non, je n'irai pas! Je ne peux pas, c'est tout! » Puis, je me suis parlée. « Là, Andrée Gibeau, veux-tu vraiment passer ta vie à t'empêcher de voir le monde parce que tu as peur de quelque chose que tu ne connais même pas? » Non. Ok, go! Cette peur, je l'imaginais et elle n'en était que plus monstrueuse. Parce que je n'avais jamais pris l'avion de ma vie.

Je ne sais pas comment je suis tombée là-dessus, mais il faut croire que j'étais au bon endroit au bon moment. J'ai découvert un centre de recherche, DePlour, qui offre un séminaire de deux jours pour vaincre la peur de l'avion. Un vol aller-retour Montréal/Toronto (optionnel, mais recommandé) conclut le séminaire la semaine suivante. Le président est un commandant de bord, Marc-Antoine Plourde.

C'est Marc-Antoine lui-même qui a répondu au téléphone quand j'ai appelé pour obtenir des informations. J'étais sur mes gardes. Il a été gentil comme tout, a répondu à toutes mes questions et la tension s'est relâchée un peu. Je ne voulais pas faire le vol de confirmation, j'étais morte de peur. Il m'a conseillé de ne pas me mettre de barrières pour l'instant. Je pouvais toujours changer d'avis après le séminaire. Bref, je me suis rendue là-bas. Je ne m'attendais à rien. Il y avait peu de participants, pas plus d'une dizaine, ce qui contribue au succès de l'affaire je crois bien. Deux psychologues et Marc-Antoine lui-même donnent le séminaire sur deux jours complets. On a démystifié un vol: les composantes d'un avion, comment un avion peut voler, la turbulence, les bruits qui accompagnent une envolée, etc. On a aussi beaucoup parlé avec les psychologues pour voir d'où la peur pouvait venir. Ça a l'air bizarre comme ça, mais c'est vraiment intéressant. On a visité un avion dans un hangar près de l'aéroport. Un Airbus, si je me souviens bien. Puis est venu l'étape du simulateur. Oh oh... Juste avant de mettre le pied dans ce « faux » avion, je me suis mise à transpirer. Je savais que ça n'allait pas être un vrai vol, bien sûr, mais rien à faire. Le simulateur avait l'air tellement réel que j'avais l'impression qu'on allait décoller pour Paris. On s'est assis, on s'est attaché. Marc-Antoine se tenait debout à l'avant de la cabine et nous a parlé tout le long. Le but de l'exercice? Expérimenter les différents niveaux de turbulence: léger, moyen, sévère. Je ne sais pas comment il a fait pour rester debout pendant la période de turbulence sévère. Je me sentais comme dans un manège de la Ronde. Une poupée de chiffon. Je vous jure: on s'est fait secouer comme dans une machine à laver pour géants. J'étais incrédule: un avion pouvait vraiment se prendre ça et c'était normal? Ok. Impressionnant. Marc-André a souri en expliquant comment l'avion ne faisait que flotter sur les poches d'air.

Finalement, j'ai décidé de faire le vol de confirmation. Montréal/Toronto, quarante-cinq minutes dans les airs, un peu plus d'une heure de porte à porte. J'allais bien être capable de survivre à ça, non? Une chance, il faisait beau. Un ciel tout bleu et un soleil éclatant juste pour moi. Mon copain est venu me reconduire à l'aéroport. J'avais l'estomac à l'envers. Les deux psychologues et Marc-Antoine nous ont accompagnés. J'étais assise côté hublot. J'avais amené mon appareil photo pour me distraire et je n'arrêtais pas d'actionner le déclencheur pour rien. Il n'y avait pas grand chose à voir à part les vitres de l'aéroport de loin. La porte s'est fermée. Plus possible de sortir. J'ai commencé à me sentir mal. Je m'en voulais de m'infliger ce stress qui sortait de nulle part! Et c'était donc bien long avant de décoller! L'avion s'est engagé sur la piste. Les moteurs se sont allumés. L'avion s'est mis en marche. Vite. De plus en plus vite. Wow, vite en maudit! Mes épaules se sont collées au siège. Je me suis mise à sourire comme une enfant. Quel beau feeling! On a quitté le sol. La terre s'est éloignée. J'ai regardé par le hublot et j'ai vu la terre comme je ne l'avais jamais vu. Et je me suis mise à pleurer. Marc-Antoine s'est inquiété: « Comment ça va, Andrée? » J'ai articulé à travers mes larmes et mon nez coulant: « Mon dieu, c'est tellement beau...! » Il a éclaté d'un rire triomphant en claquant des mains: « Oh yeah!!! » Je suis restée scotchée au hublot toute l'envolée, en extase. Au vol de retour, le groupe a dû se séparer en deux-trois sous-groupes parce que les sièges avaient déjà été réservés. Il y avait un siège tout seul, dans le fond de l'avion. Marc-Antoine est venu me voir pour me demander si ça me dérangeait de l'occuper, vu que j'avais l'air de prendre ça pas trop mal. Ok. Après le décollage, à quelques rangées en avant de moi, il  a levé le pouce pour savoir comment ça allait. J'ai répondu en ouvrant la main: top là! Quelques minutes plus tard, je dormais.

J'ai fait quelques vols au cours des années suivantes. Je me rappelle d'un en particulier, un baptême de feu. C'était en 2008. En plein milieu de la nuit, une femme s'est mise à hurler. Un cri de mort. Jamais entendu un cri comme ça. Deux longs cris déchirants qui ont réveillé - et angoissé - tout le monde. Ça fouette, ça, mes amis! On s'est levé pour voir ce qui se passait. Tout ce que j'ai entendu c'est un agent de bord qui essayait de calmer la dame: « Il n'y a pas de danger, madame, il n'y a pas de danger. » My - God. Je ne sais pas s'il y avait un médecin dans l'avion, mais elle a poussé quelques gémissements puis on ne l'a plus entendue. Une ambulance et des pompiers nous attendaient à l'aéroport pour l'évacuer. Finalement, à Charles-de-Gaules, une alerte à la bombe avait été lancée. Il n'y avait plus personne dans le terminal, sauf l'armée et nous. On a pu récupérer nos valises en vitesse puis on est sorti. Heureusement, ce n'était pas prémonitoire. Notre voyage s'est très bien passé. Je me suis dis que si j'avais vécu ça, c'était pour me tester! Une autre fois, j'ai vécu un épisode de turbulence assez intense. J'ai adoré ça! Je regardais par le hublot l'avion pencher d'un bord et de l'autre. Mon copain de l'époque, habitué de prendre l'avion, était vert. C'est là que j'ai su que j'étais guérie.

Aujourd'hui, prendre l'avion c'est comme prendre l'autobus. De la turbulence? De la petite bière. Bien sûr, ça fait partie de mon métier: je prends l'avion entre deux et trois fois par semaine. Et quand je ne travaille pas et que je prends l'avion comme passagère, je l'apprécie. C'est un moment de relaxation. À tous ceux qui ont peur de l'avion, je vous le dis, il y a de l'espoir. Si vous avez une petite peur, prenez l'avion et posez des questions aux agents de bord. Démystifier un vol, comprendre les bruits (train d’atterrissage, cloches dans l'avion, moteurs, etc), demander des trucs, ça aide. Se familiariser enlève la peur. Plus vous prendrez l'avion et plus vous serez à l'aise. Si vous pensez que vous êtes irrécupérable, je vous recommande vivement le séminaire. Ça coûte pas mal de sous, mais ça délivre du mal! ;-)

D'ailleurs, une pensée pour ma mère qui a pris l'avion la semaine passée et qui a surmonté sa grande peur! Bravo, maman chérie!