«Je suis agent de bord.» Sourcils relevés: «De bar?». «Non, de bord.»
Sourire incertain. Je lâche enfin le morceau: «Hôtesse de l'air». Ah!

16.4.12

Bruxelles

Une longue histoire d'amour me lie à la Belgique. Elle a commencé il y a presque dix ans, quand j'ai rencontré un garçon "demi-Belge", comme on se plaisait à le surnommer. J'ai connu l'humour belge, pince-sans-rire. J'en ai fait les frais avant de comprendre que c'était un mode d'expression courant. Comme on dit, qui aime bien châtie bien. Ou comme un ami Belge aime dire: "Qui aime bien charrie bien!" Ensuite, j'ai découvert les inimitables bières qu'elle produit. Quand j'y suis allée l'an dernier, j'ai tellement empli ma valise de bières que j'ai eu toutes les misères du monde à la soulever pour la déplacer. Finalement, il y a eu Brel. Brel! J'ai aimé la Belgique avant même de l'avoir vue (le pays j'entends, parce que Brel est mort en 1978 à l'âge de 49 ans), entre autres parce que je suis tombée amoureuse de Brel. Je ne le connaissais que de nom et comme plusieurs non Belges, je pensais qu'il était Français. L’incrédulité dans les yeux de mon amoureux à l'époque! Un sacrilège. Le lendemain, il y avait un coffret de Jacques Brel sur mon bureau. Je l'ai écouté en entier, sans passer une seule chanson. Subjuguée par son intensité. Un auteur compositeur interprète d'un incommensurable talent. Une interprétation incandescente (vous le verrez par vous-mêmes plus loin).

Et puis, on le dit: les Belges sont plus proches de nous, Québécois, que les Français. Les Français sont nos cousins, d'accord, mais les Belges sont nos frères et sœurs. Une même chaleur à l'accueil, des grands rires solides, un sens de l'auto-dérision... et un amour pour la bière! On y retrouve aussi une situation linguistique semblable: les communautés francophone et flamande se côtoient et parfois, malheureusement, ça frictionne.

L'été dernier, je m'y suis arrêtée pour le travail. Quand je passe deux jours dans une ville, je dédie toujours la première journée à la marche. J'aime découvrir une ville en la parcourant à pied d'abord. C'est lors de la deuxième journée que je me mets à visiter des monuments, des bâtisses, des musées ou des expositions. Cette fois-ci pourtant, je fais exception, parce que j'ai déjà visité la ville quelques années plus tôt.

Donc, après ma sieste d'après-nuit de travail, je marche illico presto vers la magnifique Grand Place, en m'arrêtant d'abord dans une "pannenkoekenhuis" (crêperie, en flamand: "maison qui cuit des crêpes"). La Grand Place est répertoriée dans la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. On dit qu'elle est l'une des plus belles places au monde. N'hésitez pas à cliquer sur ce lien pour la voir en version panoramique. Construite vers la fin du XVIIème siècle, elle est entourée d'une trentaine de maisons particulières, mais aussi de maisons de corporations de l'époque: Maison de la Corporation des Brasseurs (aujourd'hui le Musée des Brasseurs), Maison de la Corporation des Ébénistes (maintenant Maison des Maîtres Chocolatiers Belges), Maison de la Corporation des Tailleurs (on y trouve une taverne à l'heure actuelle), etc. S'y situent aussi l'Hôtel de Ville et la Maison du Roi (à présent le musée de la ville de Bruxelles). Au milieu, un marchand vend des fleurs et des plantes et parfois, on peut aussi y croiser un portraitiste. Il est possible d'admirer la Grand Place en s'assoyant à l'une des multiples terrasses de restaurants et tavernes qui l'entourent. À tous les deux ans, en août, aux années paires, elle est recouverte d'un tapis de milliers de fleurs formant un tableau kaléidoscopique saisissant.

La Grand Place. 2ème bâtisse: l'ancienne Maison des Brasseurs

Puis, je me dirige vers une exposition que je veux absolument voir: celle des Éditions Jacques Brel qui porte le titre "J'aime les Belges" et qui tourne autour de la vie du grand Jacques. J'y passe deux longues heures, éblouie, surprise, mais surtout émue. Il n'y a pas de bonnes raisons de ne pas aller voir et entendre cette exposition si on visite Bruxelles: c'est seulement cinq Euros et même si on ne connaît pas ou n'aime pas Brel (Peut-on vraiment ne pas aimer Brel? Je sais, je sais, j'ai un gros préjugé favorable.), on y parle beaucoup de la Belgique avec Brel pour prétexte. Tout au long de l'exposition, un audio-guide nous accompagne. Si ce n'est pas Brel qui chante ou nous parle, c'est sa fille France, sa femme Miche ou les amis qui ont fait partie de sa vie. On chemine dans plusieurs petites salles qui mettent en scène des moments de la vie de Brel ou ses chansons. En plus d'être chanteur, Brel était aussi réalisateur de films et comédien. On a le plaisir d'entendre un monologue qu'il a écrit et où il interprète un vieux Bruxellois qui regarde par sa fenêtre, accent belge en prime. Les expressions! Probablement comme un Français qui vient au Québec pour la première fois et qui n'y comprend rien. Surprenant et rigolo. J'apprends aussi que Brel était incapable d'écrire assis. Il  raconte que le processus d'écriture lui était douloureux, que son corps, dans l'espoir de trouver le mot juste, se convulsait ou était envahi de tics nerveux. Il parle abondamment de ce qu'il pense de la Belgique, de sa relation avec elle. Le cœur gonflé, je sors lentement. Julie, la personne à l'accueil, me regarde: "Je sais, c'est ça qu'il nous fait, Brel". Je pars avec une affiche d'un brouillon raturé écrit de la main de Brel de sa chanson "Bruxelles". Très intéressant de voir quels mots il a repris, remisés, modifiés.

Jacques Brel - Exposition "J'aime les Belges"

Comme je suis tout près, je passe ensuite devant le Manneken-Pis pour la forme, parce qu'aller à Bruxelles sans voir le Manneken-Pis, c'est comme aller à Paris sans passer devant la Tour Eiffel. Derrière une grille, une toute petite statue d'un garçonnet fait pipi, photographiée par des dizaines de touristes. Écouteurs aux oreilles, je me balade jusqu'à la Place de l'Albertine où je m'arrête en m'assoyant à côté de la fontaine. Bien sûr, c'est exprès: je fais défiler quelques chansons de Brel, sourire aux lèvres, en regardant les gens passer. Tiens, "La Chanson des Vieux Amants". Quelle maîtrise dans les mots, dans le rythme: "Et plus le temps nous fait cortège / Et plus le temps nous fait tourment / Mais n'est-ce pas le pire piège / De vivre en paix pour des amants". Je me demande à qui elle était destinée cette chanson. Miche, sa femme? Mon dieu, ça a dû être terrible pour elle si la chanson ne lui était pas destinée, quand on sait qu'il était volage... Pas facile, la vie publique. Passons.

Je poursuis jusqu'au Mont des Arts en faisant attention de ne pas marcher sous les arbres du jardin aménagé. Quelques années plus tôt, un oiseau m'a gratifié d'un cadeau liquide dans les cheveux et sur ma veste. C'est peut-être moins beau, mais je vais marcher dans l'allée cette fois. Après une volée d'escaliers, on a une vue superbe sur la ville et sur le jardin lui-même. Le Mont des Arts porte bien son nom: tout autour, on y trouve le Musée Magritte, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, la Cinémathèque, le Musée des Instruments de Musique et la Bibliothèque Royale de Belgique. Je continue mon chemin jusqu'au Palais Royal avant de bifurquer dans le très beau Parc de Bruxelles. Ce que j'aime de cette ville, c'est qu'on y trouve de grands monuments et bâtiments, magnifiques, des gens plus que sympathiques, une créativité sans bornes dans le domaine des arts, mais surtout, pas de stress ni de folie dus à une surpopulation. La ville n'est pas très étendue. Les distances se font facilement à pied et les transports en commun sont grandement utilisés.

Vue du Mont des Arts

Bon, et maintenant, à la bouffe! Je veux essayer un restaurant que m'a recommandé mon amie belge Anahita: le 9 et Voisins. On m'a prévenue: le nom de la place n'est pas indiqué en devanture. Je cherche quand même quelques minutes jusqu'à ce que je me décide à demander à un jeune homme qui fume nonchalamment, adossé sur la pierre blanche d'une bâtisse étroite. Il me sourit et m'ouvre la porte en me faisant signe d'entrer: "C'est ici!" L'intérieur est tout en brique rouge et de grandes ardoises détaillent le menu. De hauts plafonds, des vieilles tables de bois épais et des chaises dépareillées complètent le décor. On sert une cuisine Belge ici: stoemps, chicons, jambonneau à la moutarde et autres plats consistants. L'ambiance est relaxe. Je choisis de m'asseoir au bar, comme toujours quand je suis seule dans une ville que je ne connais pas. Le jeune homme qui m'a ouvert la porte s'installe derrière le bar. C'est le barman. Il s'appelle Jean et il est Français. On sympathise et il me présente aux deux autres serveuses, une Belge et une Française. Ils s'asticoteront tout le long de la soirée, pour rire. Dès que je leur pose une question, ils débattent, se tiraillent, argumentent. Les deux Français m'expliquent qu'il y a beaucoup (trop) de Français en Belgique, une invasion. Parce que la France est trop chiante. Impersonnelle. Attention, ce sont leurs mots, pas les miens! Eh bien, il y a beaucoup de Français au Québec aussi, que je leur dis. Je me décide pour des chicons qui s'avèrent excellents. De la viande hachée délicieuse avec du bacon enveloppés d'une feuille d'endive, recouvertes d'une sauce brune salée et accompagnés de pommes de terre en purée. Puisque je leur partage ma passion pour la bière, les trois rigolos s'empressent de me servir un verre de bière dès que le mien est vide, tout ça sur le bras de la maison. Ciney blonde, Ciney blanche, Gueuze, Kriek, Faro, Kwak, en veux-tu, en voilà! Je suis ravie, mais rapidement pompette. Jean m'offre aussi un verre de la bière Mort Subite que je pourrai ramener avec moi. Ils se mettent en tête de me faire venir au bar Lord Byron le soir même (Ce n'est qu'aujourd'hui, en faisant ma recherche sur internet, que j'apprends le vrai nom de l'endroit. J'avais compris, sans être trop sûre, qu'il s'agissait du "Lord by Room"...? Bien quoi, ce n'est pas un secret que l'accent anglais des francophones européens n'est pas toujours évident, hihi!). Le hic, c'est que leur "shift" ne se termine qu'à une heure du matin. Ouf... Mon lit m'appelle déjà et il n'est pas vingt et une heures. Je vais passer mon tour pour cette fois. Je les quitte à regret en me disant que j'aurai goûté encore une fois à une autre belle rencontre imprévue due au voyage.

Des chicons au 9 et Voisins

Le lendemain, je me rends dans le quartier des Marolles à la place du Jeu de Balle, où se tient un marché aux puces en plein air tous les jours entre sept et quatorze heures. Ce sont mes amis du 9 et Voisins qui m'en ont parlé et qui ont entouré son emplacement sur ma carte. Ça fait du bien de sortir du quartier historique. Ici, on sent le côté local de la place. Il y a du monde! Des dizaines et des dizaines de brocanteurs installent leurs lots de tapis, de meubles, de bibelots, de livres, de sacoches, de vêtements, de tableaux et de sculptures sur des tables ou encore à même le sol. J'ai les yeux grands. Ça, c'est mon genre de lieu. Je pourrais y flâner des heures. Je me promets de partir avec un objet qui devra entrer dans ma valise. Je me lie d'amitié avec un petit cadre qui met en valeur un dessin à l'encre noire d'un vieux bateau à voiles. Après avoir passé devant tous les étals, je décide d'aller manger sur la terrasse du Café le Chineur qui donne une belle vue sur le marché. Cette fois-ci, je goûte le stoemp, une purée de pomme de terre mélangée avec des légumes et des herbes, à côté de deux morceaux de saucisse de campagne. Malheureusement, ce n'est pas concluant côté saveurs. La purée est sèche et la saucisse, quelconque. Oui, vous l'avez deviné, j'ai aussi bu de la bière, une Gueuze rafraîchissante!


Le quartier des Marolles est reconnu pour ses antiquaires de la rue Blaes, que je monte jusqu'à voir le magistral Palais de Justice, une des plus grandes constructions du XIXème siècle. Il est possible de prendre l'ascenseur dans la rue du bas pour monter jusqu'au Palais dans la rue du haut. De là, il y a aussi un très beau point de vue sur la ville. Tranquillement, je retourne vers le centre. Parce qu'il commence à pleuvoir et parce qu'ils sont couverts d'une immense verrière, je me réfugie dans les magnifiques Passage du Nord et Galeries Saint-Hubert. Je flâne en regardant les vitrines des commerces de luxe: la célèbre maroquinerie Delvaux, la coutellerie Tulquin, le chocolatier Neuhaus ouvert depuis plus de cent cinquante ans, la Manufacture Belge de Dentelles et beaucoup d'autres. Après les avoir parcourus en long et en large, je me risque sur la rue du Marché aux Herbes pour courir jusqu'à la Mort Subite. C'est un arrêt primordial. Ce café brasserie sert à boire son excellente Mort Subite, directement du fut. Depuis peut-être deux ans, on peut trouver leur Kriek à notre SAQ, pour 5,90$ la bouteille de 375 ml. Ouch. Les serveurs portent un habit à l'ancienne: petite veste rouge sur chemise blanche et pantalon noir. On dit qu'on peut parfois les entendre parler Bruxellois, un patois qui se perd et qui est davantage connu des vieilles gens. C'est de famille, cette brasserie: elle est transmise de père en fils depuis le début du XXème siècle! Je tente le coup pour une tartine au fromage blanc accompagnée d'une Faro, puis d'une Framboise. Bon dans le bedon!




La pluie se calme. Je marche tranquillement sur le boulevard Adolphe Max pour me rendre à l'hôtel. Je croise une boutique Leonidas, impossible de résister. Des centaines de chocolats belges me regardent et m'appellent. Je me laisse finalement tenter par la pâte de fruit et un pot de tartinade au chocolat que je ramènerai avec moi. Oh! ce que je suis chanceuse de pouvoir rapporter, une fois par semaine, ces petites gâteries que je trouve dans différentes villes européennes: confiture, vin, bière, vinaigre, huile d'olive, amen. Et alleluia!

De la Belgique, je n'ai visité que Bruxelles, et, il y a quelques années, la charmante Namur ainsi qu'une petite ville de campagne nommée Soye (prononcer "soie"). Qu'à cela ne tienne, le plat pays a marqué mon cœur et j'espère bien pouvoir y retourner cette année.

Je vous laisse sur deux vidéos de Brel, l'un comique, l'autre grave, mais toujours un Brel passionné et intense. Bonne écoute!


3 commentaires:

  1. Encore une fois Bravo!!!:)
    Pour le restau le café le chineur...en cliquant sur le lien, c'est le restau situé en France que l'on voit, mais les commentaires ne sont pas très positifs non plus!! lol!
    J'adore aussi l'architecture en Europe. On ne s'ennuie pas de regarder. j'espère aussi un jour pouvoir aller voir tout ça en Belgique!:)

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    1. Oups... merci Mary pour le lien! Je viens de le changer. Je ne l'ai pas trouvé sur TripAdvisor alors j'ai pris un autre site.

      Je te souhaite la Belgique et surtout Bruxelles et sa magnifique Grand Place!

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    2. j'ai vu la Grande place dans la ville de Montpellier en France et c'était superbe. J'ai pris PLEIN de photos (tu me connais pour ça!) et une en particulier on dirait une peinture ou bien une carte postale. C'est la plus belle que j'ai vu jusqu'à date.

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